Où a filé notre concentration?

Je saute le générique des séries, j’écoute les messages vocaux en accéléré et le soir, dans mon lit, je fais défiler des vidéos de huit secondes. Sur mon téléphone portable en particulier, mon attention passe souvent d’un point à l’autre: répondre rapidement à un message, consulter les nouvelles, revenir aux vidéos d’animaux; un peu comme des grains de maïs dans une poêle chaude. 

Le chercheur en informatique David M. Levy appelle ce phénomène «popcorn brain», c’est-à-dire «cerveau pop-corn». Une métaphore pour décrire la surstimulation et le fonctionnement multitâche constant dans l’univers numérique. Par conséquent, je ne suis pas la seule dans ce cas. Mais sommes-nous vraiment de moins en moins capables de nous concentrer sur une seule chose? 

Au cours de mes recherches, j’ai découvert une chercheuse qui travaille depuis des années sur le thème de l’attention. J’apprends que le fonctionnement multitâche est une illusion et que les réseaux sociaux cherchent délibérément à attirer notre attention. Mais attends, mes pensées (et donc ces lignes) passent déjà d’un sujet à l’autre. Prenons donc un peu de recul et commençons par une question simple.

Notre capacité de concentration diminue-t-elle réellement?

C’est précisément le sujet sur lequel la psychologue et professeure d’informatique Gloria Mark se penche depuis des années. Dans le cadre de ses recherches, elle mesure le temps que les gens passent sur une tâche à l’ordinateur avant de passer à une autre fenêtre ou à un autre onglet. En 2004, cette durée était encore de 2,5 minutes en moyenne. En 2012, elle n’était plus que de 75 secondes, et ces dernières années, elle est tombée à seulement 47 secondes. Nous passons donc de plus en plus rapidement d’une task à une autre. Cela se produit particulièrement souvent lorsque nous pratiquons ce que nous appelons le «multitâche». 

Le mythe du fonctionnement multitâche

Dans les faits, être multitâche ne fonctionne que si l’une des tâches s’effectue de manière entièrement automatique, par exemple lorsque nous lisons un message en marchant. Si les deux activités requièrent une attention mentale, nous avons seulement l’impression de faire deux choses à la fois. En réalité, nous passons de l’une à l’autre en un clin d’œil. 

Et cela a des conséquences: dans le jargon technique, on parle de «switch costs», les coûts liés au changement de tâche. Il s’agit du temps perdu quand nous devons recentrer notre attention. Après chaque changement, il faut un moment pour se réorienter. Et ce n’est pas seulement la productivité qui en pâtit; selon Gloria Mark, ces changements constants s’accompagnent souvent de stress. 

Alors pourquoi avons-nous de plus en plus de mal à nous concentrer sur une seule chose? La scientifique estime que cela est dû à notre quotidien toujours plus numérique: les e-mails qui nous interrompent au travail, les messages instantanés qui nous distraient ou les notifications push qui sollicitent notre attention.

Comment les réseaux sociaux contrôlent notre attention

Tout ne retient pas notre attention de la même manière. En psychologie, on parle de stimuli saillants. Ce sont des stimuli qui se démarquent de leur environnement parce qu’ils sont nouveaux, inattendus ou inhabituels, qu’ils dominent notre champ de vision ou qu’ils semblent pertinents pour nos objectifs. Les plateformes de réseaux sociaux utilisent précisément ces mécanismes pour capter notre attention: des notifications push apparaissent, des alertes s’affichent sous forme de cercles rouges sur l’icône de l’application et les nouveaux likes ou messages sont signalés par un bip sonore.

Un terme revient sans cesse dans ce contexte: la dopamine. Ce neurotransmetteur nous motive à faire des choses qui nous promettent une récompense ou du plaisir. Il nous pousse à commander une pizza lorsque nous avons faim ou à ouvrir Instagram quand nous attendons un nouveau message ou un «j’aime». Selon la psychologue américaine Susan Weinschenk, notre système dopaminergique est particulièrement sensible aux signaux qui annoncent une récompense. 

Il t’arrive peut-être parfois d’ouvrir Instagram ou d’autres applications de manière tout à fait automatique, même sans nouvelle notification. Rien d’étonnant à cela: ton cerveau recherche la prochaine petite dose de dopamine. À peine l’application ouverte, nous sommes facilement pris dans le tourbillon du défilement et du swipe sans fin. Le centre de récompense reste alors constamment actif et le corps sécrète continuellement de la dopamine. La psychiatre Anna Lembke compare même la consommation des réseaux sociaux à une ivresse provoquée par la drogue: le fait de consulter constamment son téléphone portable peut créer une dépendance. 

Comment retrouver ta concentration

Comment se porte ta concentration? Jusqu’à présent, as-tu lu ce texte avec attention, ou ton attention s’est-elle parfois détournée vers ta liste mentale de choses à faire? Ou peut-être as-tu même répondu brièvement à un message WhatsApp? 

ll y a une bonne nouvelle cependant: même si les réseaux sociaux sollicitent sans cesse notre attention avec des notifications, des mèmes et des vidéos courtes en boucle, il existe des moyens d’améliorer notre capacité de concentration.

Pour commencer, une astuce simple, mais efficace: place ton téléphone portable dans une autre pièce quand tu souhaites te concentrer sur ton travail. Une étude a montré que la présence d’un téléphone portable à proximité, qu’il soit à portée de vue ou dans la poche, peut nuire à la capacité de concentration. En outre, de petites astuces peuvent aider: supprime les applications distrayantes de ton écran d’accueil ou désactive les notifications afin de ne pas être tenté de consulter ton téléphone portable.

Une autre possibilité consiste à faire des choses qui vous absorbent complètement. Le psychologue Mihály Csíkszentmihályi appelle cet état «flow». Il se produit lorsqu’une tâche nous stimule sans pour autant nous en demander trop, c’est-à-dire lorsqu’elle est à la mesure de nos compétences. À ce moment-là, nous nous trouvons dans un état de concentration maximal et notre perception de l’espace et du temps est altérée. Beaucoup de gens font l’expérience du flow lors d’activités créatives telles que la peinture, la musique ou l’écriture, mais tu peux aussi entrer dans un état de flow en cuisinant, en faisant du sport ou en jardinant. 

Enfin, nous devons accepter que personne ne peut être concentré en permanence. Tout le monde a besoin de pauses. Elles ne sont pas un signe de faiblesse, mais une condition préalable à la concentration. Elles nous aident à repartir avec une énergie renouvelée. Important: fais des pauses conscientes, lève-toi, bouge, respire profondément. 

La prochaine fois que tes pensées s’emballeront, tu sauras ce dont tu as besoin: moins de vidéos de chats en boucle, plus de flow, de concentration et, de temps en temps, une petite pause.  

Source image de couverture: Unsplash | Yasmina H