L’odeur persistante de l’insouciance

Danse et sueur

Qu’est-ce qui distingue fondamentalement un festival contemporain des célébrations préhistoriques marquant le solstice d’été, où résonnaient tambours, chœurs et cors? À bien y réfléchir, pas grand-chose. Nous sommes humains, et cela ne date pas d’hier. À travers les époques et les continents, nos désirs restent les mêmes: rire, festoyer, chanter, nous enivrer, de préférence ensemble. Qu’il s’agisse de rituels anciens ou de fêtes modernes, ces rassemblements répondent à un même besoin. De Göbekli Tepe à Stonehenge, des fêtes de carnaval à Songkran, de Woodstock au Burning Man, l’humanité a toujours eu besoin de festins épisodiques, d’évasions collectives, de ces parenthèses où les conventions se dissolvent. Work hard, party hard, l’adage résume à lui seul cette pulsion immémoriale.

Sous les assauts rythmiques des hi-hats pétillants et de la caisse claire tranchante, les vibrations parcourent la nuque, irradient le système nerveux, tandis que les mélodies électrisent la peau. Je garde en mémoire ces moments de pure sensation: les yeux clos, le sourire aux lèvres, comme suspendu à la cueillette d’étoiles. Ce sont ces moments de pure liberté, où l’on s’affranchit du poids trivial du quotidien. Être simplement présent, ici et maintenant, et peu importe si la sueur te colle à la peau: il y aura toujours, dans ton entourage, quelqu’un qui transpire plus que toi!

Les toilettes des festivals

Les installations «sanitaires» des festivals flirtent souvent avec les limites du supportable. Avec un peu de chance, on y trouve même des douches – dont la moitié, peut-être, fonctionne –, à condition d’accepter une attente interminable sous le regard impatient de la file derrière toi. Lorsque le festival est idéalement situé, rivières et lacs deviennent rapidement une alternative des plus prisées.

L’hydratation, qu’il s’agisse d’eau ou d’alcool, entraîne évidemment une nécessité incontournable. À ce titre, j’avoue avoir un certain privilège en tant qu’homme: il suffit de trouver un coin discret (ou, passé un certain taux d’alcoolémie ou une certaine heure, pas si discret que ça) et de se soulager. 😂 Attention: ce n’est ni par paresse ni par volonté de «fertiliser» le terrain que j’ai adopté ce comportement, mais plutôt à cause d’un souvenir aussi marquant qu’odorant. C’était il y a une dizaine d’années, à l’Openair Frauenfeld. Un homme entre dans une cabine de WC. Deux vaillants représentants masculins surgissent et encerclent la cabine de ruban adhésif avant de la renverser, porte contre le sol, avec son occupant toujours à l’intérieur. Inutile de décrire la suite…

Fumée

On dit qu’il n’y a pas de fumée sans feu. La musique te transporte, tandis que l’énergie de la foule attise ton enthousiasme. Tu goûtes pleinement à l’instant, échangeant rires et plaisanteries avec des visages familiers ou inconnus. Ces moments, aussi éphémères soient-ils, valent d’être gravés dans ta mémoire, pour que cette étincelle de joie ne vole pas en fumée.

Du bruit et de la fumée. Voilà comment on pourrait résumer l’atmosphère d’un festival. Du bruit, oui, et de la fumée, ou plutôt des volutes de vapeur. Partout, des festivaliers se détendent devant leur tente, un narguilé à la main, grillant des cervelas sur des barbecues de poche, trinquant à la vie. En temps normal, tu passerais ton chemin, mais au festival, les règles sociales s’assouplissent – un peu comme dans les aéroports – et l’on se joint spontanément à des inconnus, le temps d’un éclat de rire, d’une amitié éphémère. De ces instants naissent des souvenirs et des anecdotes que seuls les festivals savent offrir.

Ivresse

L’être humain est-il jamais vraiment sobre? Je répondrais: non, jamais. De la naissance jusqu’à notre dernier souffle, notre cerveau demeure en interaction constante avec les stimuli de notre environnement, ou avec ceux qu’il produit lui-même, mais pour cela, il a toujours besoin de matières premières venues de l’extérieur. Es-tu vraiment sobre lorsque tu n’as rien mangé de la journée, ou ton cerveau plonge-t-il dans une forme d’«ivresse de la faim»? Es-tu sobre au réveil, reposé·e et plein·e d’énergie, ou entres-tu dans une euphorie physiologique? Et quand tu éclates de rire, ton esprit reste-t-il lucide, ou cède-t-il à l’ivresse légère de l’humour? Au fond, l’être humain ne connaît jamais une sobriété absolue. Alors, pourquoi ne pas en tirer parti? J’en conviens volontiers: je maîtrise l’art de rationaliser et de relativiser. Et oui, nous commercialisons aussi les plaisirs qui naissent de cette philosophie – comme toute chose lucrative et impérissable. Autrement dit, tu n’as plus besoin de sortir de chez toi que pour acheter des produits frais ou te rendre à des festivals. 😉

L’odeur de liberté flotte dans l’air

La liberté. Non, ton désir d’être dominé n’est pas gratuit. Mais tu obtiens bien mieux: un moment de plaisir sans attentes, en plus du prix du billet. Et cela en vaut vraiment la peine. Un voyage de deux ou trois jours, loin du quotidien, m’apporte – et sans doute à toi aussi – cet équilibre dont nous avons tant besoin dans la seule vie que nous avons. Trop souvent, nous devons fonctionner, respecter les normes, jouer le jeu. À un moment donné, ça explose: la seule question, c’est de savoir si ce sera de façon contrôlée ou non. Fais-toi ce cadeau, fais du bien à ton âme: brise régulièrement les cadres que tu t’es toi-même imposés, que ce soit lors d’un festival ou ailleurs. L’équilibre, c’est la clé.

Conclusion

Qu’est-ce qui distingue l’humain de toutes les autres espèces? La capacité de transpirer. La maîtrise du feu. La faculté de contrôler consciemment sa respiration. Le pouvoir de créer de la musique, de danser, de bâtir une culture. Cette soif inextinguible de nouveauté, de beauté, d’émotions. Alors, pour un instant, mets de côté la routine, les automatismes, et laisse place à ton véritable moi. En somme: un festival, c’est ce qui nous rend profondément humains – à toi de me prouver le contraire. 😉