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L’intrigue de Noël, partie 3: la preuve

15.12.2025

«Ne m’ouvre pas», prévient le colis. Si tu ignores l’avertissement, tu te mets en danger. Si tu persistes… tu seras le prochain.

Quelqu’un avait forcé l’entrée.

Le froid mordant de l’asphalte lui glaçait les genoux lorsqu’une poigne ferme se referma sur ses épaules pour l’aider à se relever. Il se dégagea. C’était Daniela Roth, la patronne de l’auberge. En passant devant chez lui pour aller acheter des cigarettes au magasin du village, elle avait remarqué la fenêtre endommagée et avait aussitôt prévenu Marie. Du moins, c’est ce qu’elle affirmait – et c’était bien la seule chose qu’il avait retenue.

«Nicolas!» appela Marie une nouvelle fois en accourant. «Tu n’étais pas chez toi? Dieu merci…»

Il ne répondit pas et se dirigea lentement vers la porte d’entrée. Le collègue de Marie s’écarta pour le laisser passer. Un regard vers la fenêtre brisée. Un autre vers Marie, qui l’avait rejoint et marchait un demi-pas derrière lui. Il sortit la clé de la poche de son manteau et, les doigts engourdis, tremblants, tenta d’atteindre la serrure – il dut s’y reprendre à plusieurs reprises. Un léger clic retentit, puis la porte céda, libérant un flot d’air froid et stagnant. Sa respiration se fit plus courte. Sa tête lui paraissait enveloppée de coton.

Nicolas entra, actionna l’interrupteur. La lumière révéla un désordre qu’il n’aurait jamais imaginé.

Les draps de lin blancs avaient été arrachés des meubles et gisaient en désordre sur le parquet sombre. Certains pendaient encore à moitié, comme celui retenu à la grande horloge, d’autres s’étaient affaissés tout près, froissés, mêlés aux objets qu’ils avaient entraînés dans leur chute.

L’air était saturé de poussière. Épais. Dense. Comme du brouillard.

Instinctivement, il porta d’abord son regard vers les marches de l’escalier. Même s’il savait que cela n’avait aucun sens. Que rien n’avait pu arriver à qui que ce soit: la maison était vide en son absence.

Il se tourna ensuite vers le salon. Il se glissa rapidement entre les objets éparpillés, s’immobilisa un instant quand un éclat de vase se brisa sous sa semelle, puis continua sans plus prêter attention aux draps froissés qui balisaient son passage. C’était de loin la pièce la plus dévastée. À ses pieds s’étalait un chaos de disques vinyle – certains intacts, d’autres fendus – de livres ouverts, dont les pages frémissaient sous le souffle venu de la fenêtre, de trois vases brisés, d’une petite horloge, d’un gramophone privé de son pavillon, de papiers et d’une multitude d’écrits dispersés comme des éclats de marbre sur le sol. Tous les tiroirs béaient, et le vent nocturne faisait grincer puis claquer la porte d’une armoire qui oscillait sans répit.

Au milieu: le colis. Non plus sur la table du salon, mais à même le sol.

«Maintenant, je comprends…»

Le temps se déroula d’abord au ralenti, puis s’emballa.

Nicolas répondit aux questions de la police, mais demeura autrement taciturne. Avec Marie, il tenta d’établir si quelque chose avait disparu; pourtant, tout semblait encore là, même si plus rien n’était vraiment à sa place. Rien ne manquait. Les objets de valeur gisaient dans les tiroirs et placards ouverts, exposés comme sur un plateau d’argent et l’intrus ne s’y était manifestement pas intéressé.

Il s’en était douté. Non… il le savait.

Alors qu’il s’apprêtait à franchir le seuil, une main se referma sur son bras. Doucement. Il aurait pu poursuivre son mouvement, mais il se ravisa et se tourna vers elle: Marie Lemaire, qui le regardait, l’inquiétude mêlée à la perplexité, mordillant sa lèvre inférieure. «Où vas-tu?» demanda-t-elle. «Il fait nuit noire, et quelqu’un est entré chez toi. C’est dangereux de sortir maintenant.»

Il ne répondit pas tout de suite, hésitant. «Alors… viens avec moi.» D’un geste mesuré, il dégagea sa main de son manteau, saisit son poignet et l’entraîna à sa suite.

 

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«Que faisons-nous ici?»

Marie tentait de repousser les souvenirs que la scène réveillait malgré elle. Ils se trouvaient chez Magnus Brunner, juste à côté de la tanière de Nicolas. On entendait encore les murmures de la foule et les appels de l’équipe médico-légale arrivée en urgence de la ville. Le cambriolage était pris très au sérieux. Et quelque chose, au fond d’elle, lui soufflait que l’affaire se rattachait à l’événement survenu plus d’une semaine plus tôt: les deux dossiers semblaient liés, même si le premier restait officiellement classé comme un simple accident.

«Je dois vérifier quelque chose.»

Nicolas semblait détaché, comme si la présence d’une scène de crime autour de lui ne l’atteignait pas. Ou du moins, c’est l’impression qu’il donnait. Il observait les lieux avec une attention tranquille. La maison était restée fidèle à son souvenir: deux fauteuils usés mais accueillants, une table basse, une bibliothèque monumentale débordant de volumes lourds, dont certains reposaient à l’horizontale faute de place. Le décor avait un charme victorien. Il examina la tasse de café à moitié vide posée sur la table, s’agenouilla et inspecta la surface en bois. Rien n’indiquait qu’une seconde tasse s’y était trouvée.

«On dirait qu’il n’a reçu personne», observa Marie.

«Et pourtant, il semblait attendre quelqu’un.»

Marie se figea. «Qu’est-ce qui te fait dire ça?»

Nicolas se redressa et désigna la cuisine. «La bouilloire. Monsieur Brunner vit seul, mais il l’a remplie bien au-delà de la moitié. Toi, tu mets combien d’eau quand tu veux juste te faire une tasse de café ou de thé?»

Elle réfléchit. «Juste au-dessus du repère minimum.» Elle posa une main contre son menton et en suivit la ligne du bout du doigt, comme pour la masser. «Et si j’ai envie d’en boire davantage, je verse le reste dans une thermos. Dans ma bouilloire, ça ne reste pas chaud.»

«Dans celle-ci non plus.»

«Donc il attendait une visite qui n’est jamais venue», conclut-elle. «Ou peut-être… quelqu’un qui n’avait pas l’intention de boire?»

«En tout cas, cette visite n’a pas été annulée. Quelqu’un qui prépare du café à une heure pareille essaie généralement de lutter contre la fatigue. Et lui n’était ni un grand consommateur de café ni un couche-tard.»

«Maintenant que tu le dis…» Elle eut un sursaut de mémoire. «Quand on l’a retrouvé, il portait encore ses vêtements de ville. L’heure de décès se situait entre 21 et 23 heures. À cette heure-là, on est normalement déjà en tenue plus confortable… à moins d’avoir encore quelque chose de prévu.»

Nicolas lui adressa un faible sourire, triste, puis se tourna vers l’escalier. Marie l’observa s’en approcher, la tête baissée, les yeux fouillant le bois du sol. Son attention passa du parquet à la rampe, puis aux marches. Il commença à les gravir, lentement, avec prudence. Ses yeux ne quittaient pas les marches.

«Tu donnes toujours l’impression d’être ailleurs, lança-t-elle soudainement. Pourtant, tu en sais beaucoup sur les gens d’ici. Tu tiens les autres à distance, et pourtant ils ne te sont pas indifférents.»

Il demeura concentré sur les marches. «En ce moment, il y a des choses qui réclament ton sens de l’observation plus que moi.

Marie fixa son dos, les bras croisés. «Honnêtement, pourquoi es-tu ici?», demanda-t-elle sans détour. C’était la deuxième fois qu’elle posait la question. «Qu’est-ce qui t’a poussé à venir dans ce petit village de montagne, si isolé? Ce n’est pas vraiment la porte à côté.» Cette fois, sa curiosité avait une résonance plus franche – même si elle demeurait insistante.

Nicolas resta silencieux. 

Elle soupira.

Il posa un pied devant l’autre et gravit les marches une à une. Le bois semblait ancien, et hormis son veinage et quelques entailles, il n’y voyait rien de particulier. Il continua d’avancer, sentant un frisson lui glisser le long du dos, et chercha instinctivement la rampe. Il se trouvait exactement à l’endroit où monsieur Brunner avait eu son accident… non, où il avait été assassiné. Dans cette même pièce, presque au même moment. Son imagination commença à tisser des images dont il se détacha aussitôt. Il secoua vigoureusement la tête. Un peu plus loin, un tapis rouge attira soudain son attention. Il était là, au bout de l’escalier, posé sur le palier: un tapis d’Orient tissé à la main, usé par les années, et environ trois fois plus grand qu’un simple paillasson. Il reposait parfaitement à plat sur le parquet. Nicolas n’était jamais monté à l’étage avec monsieur Brunner, n’y avait jamais été convié; c’était la première fois qu’il voyait ce tapis.

Mais alors, comment pouvait-il…

«Savais-tu qu’il y avait un tapis ici? Avant que monsieur Brunner…» Il laissa sa phrase en suspens.

Marie parut décontenancée. «Je l’avais aperçu une fois, quand j’étais venue chercher quelque chose pour Magnus. Mais je ne crois pas qu’il soit là depuis longtemps. Pourquoi?»

«C’est un endroit inhabituel pour un tapis, tu ne trouves pas? Inhabituel… et même dangereux.

«Tu penses quand même qu’il a simplement trébuché dessus?»

«Non.» Il souleva légèrement le tapis, puis le reposa. «On l’aurait vu sur le tapis.»

«Oui, sûrement», confirma-t-elle.

Il examina alors la porte derrière. Il enjamba le tapis, saisit la poignée, la tourna: elle n’était pas verrouillée.

«Dis, Marie…, reprit Nicolas, tu pourrais me rendre un service? Pourrais-tu demander à quelques personnes de se rassembler ici, puis aller chercher quelque chose avec un collègue? Le colis chez moi… et autre chose.»

 

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Entre-temps, tout le monde s’était rassemblé dans la maison de Magnus Brunner. Depuis son fauteuil, Sebastian Keller, le maire, adressait à Nicolas des regards lourds de reproches. Daniela Roth, la propriétaire de l’auberge, arpentait nerveusement la pièce, tandis qu’Eveline Pfister, la fleuriste, lui tenait la main dans l’espoir de la calmer. Quant à Jonas Schmid, le facteur, il se tenait en retrait, l’air de ne pas vraiment comprendre pourquoi on l’avait convoqué, une main posée sur sa nuque avec sa gêne habituelle. Lorsque Marie franchit enfin le seuil, suivie de trois collègues et du commissaire, tout le monde était réuni, tous ceux que Magnus Brunner considérait comme son cercle rapproché. Et tous ceux qui, de près ou de loin, s’étaient trouvés pris dans cette affaire malheureuse – ou l’avaient alimentée.

Nicolas Fuchs était assis au pied de l’escalier. L’endroit avait quelque chose de sinistre, mais donnait aussitôt la mesure de la situation. Marie Lemaire s’approcha de lui et posa une main sur la rampe en bois. Elle paraissait un peu tendue, sans plus. Si l’agitation ou le trouble la gagnaient, rien ne transparaissait.

«Que voulez-vous de nous?» demanda Sebastian Keller, pour la cinquième fois de la nuit. «Vous vous rendez compte de l’heure? Cela n’aurait-il pas pu attendre demain?» Il semblait prêt à repartir dans une nouvelle tirade, le ton acerbe, la colère affleurante. Au moment où il s’apprêtait à bondir de son fauteuil pour se précipiter vers Nicolas d’un air menaçant, une main ferme se posa sur son épaule et l’immobilisa. Daniela Roth prit la parole:

«Calme-toi. S’il nous convoque maintenant, c’est que cela ne peut pas attendre.» Sa voix se voulait apaisante, mais ne laissait place à aucune contestation. Elle paraissait résolue, prête à tout pour que la situation avance.

«Et pourquoi ça ne pourrait pas attendre?», répliqua sèchement le maire.

Il n’espérait aucune réponse – pourtant, elle vint.

«Parce que demain, vous ne serez plus devant moi… mais devant ma tombe.»

La voix froide de Nicolas s’insinua dans la pièce comme un souffle glacial. Les murmures s’évanouirent aussitôt; même Sebastian Keller resta interdit. Les mots restèrent suspendus, lourds, définitifs, presque palpables, pareils aux grains de poussière qui tournoyaient dans la faible lumière du plafonnier. Marie sentit son souffle se figer. Son masque se fissura, l’effroi pur déforma son visage.

Sebastian Keller cligna des yeux, livide.

«Comment?», parvint-il à articuler d’une voix rauque.

Nicolas releva lentement la tête. Il quitta les marches où il était assis, enfouit les mains dans les poches de son manteau noir et les fixa tous avec un calme presque déconcertant. D’un ton étonnamment calme et indifférent, comme s’il commentait la météo ou son déjeuner, il répéta: «Si nous ne nous occupons pas de cette affaire maintenant, il y aura une tombe de plus demain. La mienne.»

Un frisson d’effroi parcourut le groupe, tendant l’atmosphère à l’extrême. Jonas recula malgré lui, manquant de renverser une petite commode, et marmonna des excuses que personne n’entendit. Eveline porta une main à sa bouche, le souffle court.

Seul le commissaire demeurait impassible. De sa main, il lissa sa longue barbe grisonnante en observant la scène avec une attention soutenue. «Je suis curieux d’entendre ce que vous avez à dire, monsieur Fuchs, dit-il enfin. Je vous conseille de ne pas me faire perdre mon temps.»

Nicolas s’exécuta aussitôt.

D’un geste vif, il se pencha et saisit le colis posé à terre. Il le souleva à hauteur de regard, exposant à l’assemblée les mots tracés au feutre rouge sombre: «Ne m’ouvre pas.» «Je vais commencer par ce colis», annonça-t-il.

«Il a été envoyé le jour de la mort de monsieur Brunner et déposé anonymement dans la boîte à colis. On y a inscrit mon nom comme expéditeur, alors que je ne l’ai ni préparé ni envoyé. Quant à la destinataire, Manuela Schneider… elle est décédée. C’était l’épouse de Magnus Brunner.»

Il laissa le silence se charger de sens. Quelques chuchotements s’élevèrent.

«L’expéditeur véritable voulait, dès le départ, que ce colis me parvienne. Une personne morte ne pouvait évidemment pas le recevoir; il savait donc qu’il finirait entre mes mains. Et en utilisant le nom de sa femme, il cherchait à me transmettre un message: cela me concerne. Cela concerne ma mort. Je suis désormais auprès de ma femme.» Nicolas adressa à Marie un sourire discret. «Et il savait que Marie remarquerait le colis et m’éclairerait à propos de sa femme.»

Daniela eut soudain un déclic. «Cela signifie donc que…»

«Exactement», confirma Nicolas en se tournant vers le commissaire. «Magnus Brunner est l’expéditeur du colis. Je suis certain que, si vous vérifiez ces informations auprès de la poste, vous constaterez qu’il a été affranchi en ligne avant la date présumée de son décès. La poste pourra également vous préciser à quel compte cet affranchissement a été rattaché et facturé. En examinant ses appareils, vous retrouverez le document correspondant dans l’historique d’impression. La démonstration est facile, vous n’aviez simplement aucune raison de vous y intéresser jusqu’à présent.»

Le commissaire fit un signe à l’un des policiers. Celui-ci comprit aussitôt et sortit précipitamment pour vérifier ces affirmations. Puis le commissaire s’avança et s’arrêta à deux pas de Nicolas. «Vous supposez donc qu’il s’agit d’un meurtre. Le colis contenait-il quelque chose susceptible de l’établir?»

Nicolas eut un bref rire, un rire sans joie, presque résigné. «Le colis était vide», admit-il. «Jonas et Marie pourront vous confirmer qu’il était étonnamment léger.» Le commissaire promena son regard de l’un à l’autre, et tous deux acquiescèrent. «Cela s’explique par le fait que le colis ne m’était pas uniquement destiné. Pour moi, c’était un indice. Pour quelqu’un d’autre, un appât. Et je ne devais surtout pas l’ouvrir… car, à partir de cet instant, ce n’était plus le paquet qui deviendrait la cible, mais moi.»

Nicolas retourna le paquet et lut à voix haute: «Ne m’ouvre pas.» Puis il releva les yeux. «Parce qu’à l’instant où tu m’ouvriras, tu seras le prochain.»

«Mais pourquoi?», s’indigna Daniela Roth, visiblement agitée. «Pourquoi cela ferait-il de vous la prochaine cible? Pourquoi le coupable s’en prendrait-il à vous si le colis était vide?»

«Parce qu’il l’ignore», expliqua Nicolas. «Il ne sait pas que le colis était vide depuis le début. C’est pour cela qu’il s’est introduit chez moi. Et dès qu’il a vu le paquet ouvert mais vide…»

«… il a pensé que vous en aviez retiré le contenu», ajouta le commissaire. «Le colis était un leurre, imaginé par la victime. Magnus Brunner avait laissé croire à son meurtrier qu’il renfermait une preuve compromettante, quelque chose que ce dernier voulait à tout prix empêcher de voir le jour.»

«Lorsqu’il l’a trouvé vide, reprit Nicolas, il a fouillé toute la maison. Il n’a évidemment rien trouvé: il n’y avait rien à trouver. Et maintenant, il est persuadé que je détiens cette fameuse preuve.»

«Mais une preuve de quoi?», demanda le commissaire. Qu’est-ce que Magnus Brunner savait pour que cela lui coûte la vie?»

«Ce devait être quelque chose qui aurait lourdement accablé le coupable. Assez, en tout cas, pour le pousser, sous le coup de l’émotion, à précipiter Magnus Brunner dans l’escalier. Mais nous y reviendrons plus tard.» Il baissa les yeux vers le paquet. «Si notre hypothèse tient, monsieur Brunner a confronté son meurtrier. Peut-être a-t-il tenté de le faire avouer, utilisant ce colis comme moyen de pression. Ça finira par sortir, mieux vaut parler tant qu’il est encore temps. Peut-être n’avait-il aucune preuve, seulement une intuition. Il cherchait un aveu. Ou peut-être… voulait-il simplement aider.»

Nicolas posa le paquet sur une marche et s’assit à côté. «Magnus Brunner a été froidement assassiné», conclut-il. Il prit appui sur ses genoux et entrelaça les doigts. «Et par quelqu’un qui se trouve ici. Dans cette pièce.» En prononçant ces mots, il scruta attentivement l’assemblée, son regard glissant d’un visage à l’autre. Marie nota qu’il s’attarda un instant de trop sur l’un d’entre eux.

«C’est vraiment le comble!» s’exclama Sebastian Keller en bondissant de son fauteuil. Le mouvement fut si abrupt que même Daniela Roth sursauta – elle, la restauratrice réputée pour son inébranlable sang-froid, capable de réduire au silence les clients les plus tapageurs en quelques secondes. «Ce colis ne prouve rien! Ce n’était qu’un accident, rien de plus! Et ce cambriolage, juste un vol banal! Vous ne comprenez donc pas? Cessez de courir après des fantômes et de dresser les gens les uns contre les autres!»

Il tenta de se jeter sur Nicolas, mais deux policiers le retinrent. «Mieux encore: partez! Faites vos valises et quittez notre village!»

Marie recula d’un pas en voyant le maire se débattre pour se libérer de l’emprise solide de ses collègues. Nicolas, lui, ne cilla pas. Il lui tint tête en poursuivant d’un ton imperturbable: «Vous savez… sur la tombe de monsieur Brunner, il y a une fleur intéressante. Parmi toutes les roses blanches et les lys, il y en a une – non, deux – qui ont attiré mon attention.»

«La jacinthe…», murmura Eveline, comme si l’on venait de lui souffler la réponse, la voix toujours douce et candide. «Daniela m’avait demandé quelle fleur choisir pour présenter ses excuses.»

La voix tonitruante de Sebastian Keller se brisa net. Toutes les têtes se tournèrent vers Daniela Roth, figée, la bouche entrouverte, muette, avalant sa salive comme si sa gorge s’était soudain serrée. Elle serra les poings et les remonta contre sa poitrine. Il lui fallut un instant avant de parvenir à articuler: «C’est vrai, admit-elle enfin, je l’ai fait pour Sebastian. Et pour moi aussi, parce que je suis complice.»

«De quoi tu parles?» Sebastian Keller se dégagea de l’emprise des policiers et la fixa, décontenancé. «Je me bats ici pour toi, et tu fais de moi un bouc émissaire pour sauver ta peau?»

«Arrête, Sebastian. Je sais ce que tu as fait.»

«Pardon?» Sebastian s’avança, déclenchant aussitôt la vigilance des agents. «Alors, vas-y, dis-le! Qu’est-ce que j’aurais fait, ingrate que tu es…»

«Tu as la mort de Magnus sur la conscience.»

La mâchoire de Sebastian se décrocha, sidéré. «Tu te rends compte de ce que tu racontes?», s’étrangla-t-il. «C’était toi! Ne t’avise pas de me faire porter ça.»

Daniela fronça les sourcils, les muscles tendus. Elle se dressa devant lui avec l’autorité d’une mère face à un enfant de dix ans. «Allons, tu as bien plus à perdre que moi! Quand tu as appris qu’il savait pour notre liaison…»

Sebastian renifla, prêt à répliquer, mais il fut coupé net.

Un raclement de gorge profond, agacé, traversa la pièce et les réduisit au silence. Le commissaire Beat Schneider s’interposa et exigea des explications immédiates. Son ton ne laissait aucune place à la contestation. Pendant qu’il écoutait Daniela relater les faits, il porta une main à sa longue barbe – un geste qui semblait rythmer chacune de ses réflexions – et adressa à Sebastian Keller un regard sévère, presque accusateur. Voilà déjà six mois que le maire menait une double vie.

On apprit également que Magnus Brunner, quelques jours avant sa mort, avait enchaîné les verres à l’auberge. Ivre, il avait contemplé Daniela Roth avec une étrange pitié, avant de lui confier qu’il connaissait sa liaison: il les avait surpris par hasard en ville et jugeait la situation déplacée, surtout compte tenu de l’état de santé de l’épouse de Sebastian Keller. Il leur avait même conseillé d’y mettre un terme, estimant que le mariage demeurait sacré. Daniela avait tout nié, rejeté chaque insinuation, puis s’était embrouillée, contredite à plusieurs reprises, jusqu’à ce que ses larmes la trahissent.

Lorsqu’elle en avait parlé à Sebastian Keller, le matin précédant la mort de Magnus Brunner, celui-ci avait quitté l’auberge en trombe – sans manteau, sans un mot – mû par la seule urgence d’aller demander des comptes au médecin. Il admit pourtant avoir finalement renoncé à cette confrontation, d’autant que Daniela souhaitait, elle aussi, en reparler calmement avec Magnus. Tous deux avaient prévu de lui rendre visite ce dimanche-là. Et tous deux y avaient renoncé, convaincus que l’autre avait peut-être joué un rôle dans l’accident.

À la fin de leur récit, un silence s’abattit sur la pièce. Même Jonas Schmid, d’ordinaire si enjoué, paraissait abattu, désemparé et, plus encore, profondément troublé. «Je ne savais rien de tout ça», murmura-t-il, presque inaudible, lui qui s’entendait avec tout le monde et croyait bien les connaître.

Eveline Pfister, la fleuriste, acquiesça. «Je n’en avais pas la moindre idée…»

Tous demeurèrent figés, immobiles, muets.

Nicolas inspira profondément, puis se leva, lourdement.

«Il ne s’agissait pas de la jacinthe», rectifia-t-il, attirant de nouveau les regards. «Même si cela éclaire certaines choses. Auriez-vous la gentillesse de me montrer vos paumes? J’aimerais vérifier quelque chose.»

Magnus Brunner

Médecin de famille au tempérament chaleureux, apprécié de tous, il s’était retiré dans ce village de montagne après la disparition de sa femme. Il avait 53 ans. Rongé par la culpabilité de n’avoir pu sauver celle qu’il aimait, il ne se jugeait plus digne de porter le titre de docteur et refusait qu’on l’appelle ainsi. Pour les habitants, il demeurait pourtant un praticien hors pair, un confident précieux et un homme d’écoute, sensible aux blessures invisibles. La nouvelle de le voir devenir la victime de cette affaire n’en fut que plus bouleversante.

Source de l’image de couverture et des images des personnages: Sora AI

Source des séparateurs décoratifs: Adobe Stock | 1574399334

Envie de résoudre ta propre affaire criminelle?

Duygu Özdemir

Marketing Manager Editorial Content

Lorsque je ne suis pas occupée à laisser libre cours à ma créativité littéraire, il est fort probable que je sois totalement absorbée par une série Netflix («Un dernier épisode!») ou alors engagée dans des discussions animées sur des sujets très variés. J’aime encore me plonger dans un bon livre ou me lancer dans un nouveau hobby. Ma curiosité intellectuelle est infinie, et j’ai ici la chance de pouvoir la satisfaire pleinement et de la partager.

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