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L’intrigue de Noël, partie 1: le colis

01.12.2025

Il reçoit un colis. Un colis qu’il aurait envoyé lui-même. Sur l’emballage, une mention: «Ne m’ouvre pas.»

Sans doute était-ce le vent glacial qui lui faisait frissonner le cœur. Par réflexe, il enfonça les mains plus profondément dans les poches de son manteau, rentra la tête et soupira dans l’écharpe en tricot que Monsieur Brunner l’avait contraint à accepter. Elle était chaude, certes, mais incapable de le réchauffer. Comment aurait-elle pu? Il gelait de l’intérieur. C’était une sorte de frisson sans fièvre, sans spasmes, mais tout aussi tenace, tout aussi glacial.

L’hiver avait élu domicile en lui. Paradoxalement, en cette saison où les cœurs sont censés se réchauffer à mesure que les jours se refroidissent.

Les arbres, presque nus, laissaient pendre leurs dernières feuilles bordées de givre. La première neige ne tarderait plus, elle s’était déjà assez fait attendre cette année. Au loin, un corbeau croassa. Un bruit parfaitement accordé au décor, qui renforçait encore le tableau désolant de ces vies fanées. En d’autres circonstances, ce cri aurait pu passer pour un mauvais présage; ce jour-là, il résonnait plutôt comme l’écho d’un malheur déjà consommé.

Devant lui se dressait une pierre tombale. Il fixa l’inscription: Dr Magnus Brunner. Il déglutit, la boule dans sa gorge enflant un peu plus. Comment aurait-il pu imaginer se retrouver si tôt face à sa tombe, et non plus face à lui?

«Il est tombé dans les escaliers», disait-on. Un accident, survenu chez lui, pendant la nuit. Depuis, un voile sombre avait recouvert le village. Loin de se dissiper, il semblait s’épaissir de jour en jour, se muant lentement mais sûrement en une lourde chape. Rien d’étonnant: contrairement à lui, Monsieur Brunner était un habitant apprécié. Bienveillant. Généreux. Chaleureux. Et il y a plus d’une semaine… il s’était éteint.

Il baissa les yeux. Devant la pierre de granit, plusieurs fleurs avaient été disposées avec soin. Son regard s’attarda sur deux d’entre elles: une rose rouge et une jacinthe violette. Cette dernière n’était pas là hier.

«C’est déjà le troisième jour de suite que vous venez ici.»

Sa voix ne le surprit pas. Ses lourdes bottes de policière l’avaient annoncée, grinçant chaque fois qu’elle déplaçait son poids d’une jambe à l’autre. Il ne répondit pas. Elle s’avança encore. Il sentit son regard lui brûler la nuque.

«Où étiez-vous dimanche avant-dernier, entre 21 heures et 23 heures?»

La question le décida à engager la conversation. Il se détourna de la pierre tombale et soutint son regard suspicieux avec un calme magistral, teinté d’une légère curiosité. Elle, pourtant, ne se laissa pas désarçonner. «Ne jouez pas les ignorants», enchaîna-t-elle. Une fois de plus, Monsieur Brunner avait vu juste: elle fronçait imperceptiblement le nez lorsqu’elle était contrariée. Il se souvenait encore parfaitement de la façon dont il le lui avait raconté en souriant, il n’y avait pas si longtemps. De son vivant. «Cela fait à peine trois mois que vous vous êtes installé ici, et déjà… il arrive quelque chose comme ça. Magnus était le seul avec qui vous aviez des contacts. Mais nous, vous ne nous adressez même pas la parole.»

Elle s’apprêtait à poursuivre, mais s’interrompit lorsqu’un sourire las se dessina sur ses lèvres. Sur lui, cela devait paraître étrange.

«Bonjour, finit-il par dire. Comment allez-vous, Madame Lemaire?»

Elle resta interdite. Elle le dévisagea quelques secondes en silence, puis, presque incrédule: «Vous connaissez mon nom?»

Il eut un rire sans chaleur et se tourna entièrement vers elle. «Marie Lemaire», répéta-t-il comme pour s’en assurer. «Vous pensez donc que ce n’était pas un accident? Et c’est l’heure présumée du décès? Dimanche, entre 21 heures et 23 heures?»

Elle se tut.

«Vous avez des preuves, je suppose?»

Encore une fois, Marie garda le silence, les dents serrées sur sa lèvre inférieure. Il était clair qu’elle agissait de son propre chef; ni sur ordre du commissariat, ni en tant que policière, même si elle en portait l’uniforme.

«Alors? Qu’est-ce que vous avez?» insista-t-il.

«Une intuition.»

Un simple pressentiment, donc. Beaucoup l’auraient balayé d’un revers de main, mais lui savait qu’une intuition reposait, elle aussi, sur des raisons. Des raisons que Marie Lemaire ne dévoilerait pas.

«Et votre intuition vous dit que c’était moi? Ou est-ce que vous ne supporteriez tout simplement pas que ce soit quelqu’un d’autre? Quelqu’un qui ne vous est pas aussi étranger que moi.»

Elle resta silencieuse, sans pour autant le quitter des yeux. Il ne pouvait pas lui en vouloir. La situation avait de quoi éveiller les soupçons: un petit village de montagne qui se vidait un peu plus chaque année. Certains faisaient leurs valises, rêvant de quitter enfin cet endroit maudit, de rompre avec la routine et le confort pour recommencer une nouvelle vie en ville. Lui, au contraire, avait abandonné sa carrière là-bas. Il était jeune, visiblement un citadin, et de surcroît journaliste, et son parcours, accessible d’un simple clic, ne faisait qu’attiser les interrogations.

«Non,» répondit-elle finalement. «Je préférerais que ce ne soit vraiment qu’un accident.» Elle semblait abattue. S’il ne se trompait pas, sa voix trahissait même une nuance d’excuse. Une femme fière, manifestement, mais pas forcément dénuée de considération. 

Il détourna le regard, sans s’apercevoir qu’il effleurait son écharpe; ses doigts étaient si engourdis qu’il percevait à peine le tissu. Son sourire s’effaça, il n’avait jamais réussi à illuminer ses yeux, de toute façon. Il lui fallut un moment avant de reprendre la parole.

«Monsieur Brunner débordait d’élan, lâcha-t-il. Mais il n’était pas imprudent.»

La jeune policière leva les yeux. Elle sembla légèrement surprise, mais comprit aussitôt.

«Donc vous pensez, vous aussi…»

«Je ne pense rien», la coupa-t-il. Il fit un pas de côté, dévoilant la tombe, et d’un signe de tête désigna les fleurs déposées devant celle-ci. «Je sais seulement que les jacinthes violettes symbolisent le repentir. Ce sont des excuses. On peut s’excuser de bien des choses, mais c’est la première fois que j’en vois sur une tombe.»

Elle le fixa, déconcertée, hésitante, avant de glisser rapidement devant lui et de s’agenouiller devant la sépulture. Du coin de l’œil, il la vit tendre une main tremblante vers la fleur, avant de suspendre son geste, de ramener le bras contre elle et d’inspirer profondément. Un souffle de buée se forma devant ses lèvres, aussitôt emporté par le froid. Il avait déjà deviné que cela ne ferait que renforcer sa conviction. Qu’elle s’y accrocherait encore davantage. Monsieur Brunner l’aurait sûrement réprimandé – et à cet instant, il aurait donné n’importe quoi pour entendre l’un de ses sermons, une remontrance, une simple leçon de vie. N’importe quoi. Mais il avait depuis longtemps dû accepter qu’il n’entendrait plus jamais sa voix, aussi irréel que cela puisse encore lui sembler.

«Vous savez, murmura-t-il, maîtrisé, mais non sans amertume, Monsieur Brunner était le seul, dans ce village, à ne pas me traiter comme un intrus.»

Marie laissa ces mots résonner en elle. Quand elle retrouva ses esprits et voulut se tourner vers lui, Nicolas avait déjà disparu.

 

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«Monsieur Fuchs!» 

Une voix grave et chaleureuse le tira de ses pensées. À en juger par l’intonation, ce n’était pas la première fois qu’on l’appelait. Il s’arrêta, leva les yeux, qu’il gardait jusque-là fixés sur les pavés devant lui, et croisa le regard interrogateur, légèrement inquiet, de Jonas Schmid, le facteur, emmitouflé dans son uniforme. Grand comme il l’était, Nicolas dut lever un peu la tête. Jonas semblait en pleine forme et n’avait rien perdu de ses couleurs, malgré les journées glaciales de l’hiver.

«Tout va bien, Monsieur Fuchs?» demanda Jonas, portant sa main gantée à sa nuque devant le silence de Nicolas – un geste que celui-ci l’avait souvent vu faire. Était-ce de la nervosité? Ou de la gêne, peut-être? Mais Jonas n’avait jamais été du genre à tourner autour du pot; il alla donc droit au but: «Vous avez l’air encore plus dans la lune que d’habitude, Monsieur Fuchs. Vous ne m’avez pas vu arriver? Enfin… je ne devrais peut-être pas parler trop vite. Comment dit-on déjà? ... Ah oui, les eaux calmes sont les plus profondes. Je ne vous aurais pourtant pas imaginé jouer de mauvais tours.»

Un sourire radieux, des paroles irréfléchies: Jonas tel qu’on le connaissait.

«De mauvais tours?» répéta Nicolas, laconique, en suivant le geste de Jonas du regard. Ce n’est qu’alors qu’il remarqua le colis coincé sous son bras gauche. Jonas le saisit à deux mains et le lui tendit avec un sourire entendu.

«Vous vouliez sans doute faire peur à votre ex, à Zurich, dit-il. Mais elle ne semble plus y habiter, et le paquet est revenu. Ce matin, j’ai collé un mot sur votre boîte aux lettres pour vous dire de venir le récupérer, mais en vous voyant passer juste devant la poste – il désigna le bâtiment d’un mouvement de tête –, je me suis dit que je pouvais vous éviter le détour.»

Nicolas, toutefois, n’avait d’attention que pour le colis: un carton de taille moyenne, sur lequel les mots «Ne m’ouvre pas» étaient griffonnés au feutre rouge. L’ensemble avait quelque chose de trouble, presque menaçant et s’il n’avait pas été aussi épuisé, sa curiosité de journaliste s’en serait probablement trouvée aiguisée.

«Qu’est-ce qu’il y a là-dedans?» Jonas, de son côté, ne faisait aucun effort pour masquer sa curiosité. «Une lettre de menace, avec des lettres découpées dans un journal et collées côte à côte? Des fleurs? Des photos? Ce ne doit pas être grand-chose, en tout cas: ce colis est étonnamment léger.»

«Ce colis n’a rien à voir avec moi», répondit Nicolas en contournant Jonas. En vain: ce dernier se remit aussitôt dans son sillage.

«Je comprends que vous ne vouliez pas l’admettre, dit-il avec un sourire en le rattrapant. Mais dans ce cas, vous auriez peut-être dû éviter d’indiquer l’adresse de l’expéditeur. Elle aurait immédiatement su que cela venait de vous. Très négligent de votre part, cher monsieur Nicolas Fuchs, domicilié à…»

Nicolas s’arrêta net – et Jonas, qui trottinait derrière lui en plaisantant, lui rentra littéralement dedans.

«Oh, pardon! J’allais justement vous lire l’adresse et…»

«Je n’ai pas envoyé ce colis.»

«Comment ça?» La perplexité traversa les traits de Jonas. Il se plaça rapidement face à lui et brandit de nouveau le paquet sous son nez. «Peut-être avez-vous tout simplement oublié? Regardez: ici!» Il montra du doigt l’adresse de l’expéditeur. «C’est bien la vôtre. Et voici notre cachet postal: le colis a été déposé chez nous, c’est certain.»

Était-ce donc aujourd’hui qu’on avait décidé de lui faire porter tous les torts? Les habitantes et habitants du village s’étaient-ils donné le mot pour se liguer contre lui? D’abord le meurtre de Magnus Brunner, officiellement classé comme un accident, et maintenant une histoire de vengeance impliquant une ancienne compagne… qu’il n’avait jamais eue. Il était impatient de découvrir ce qu’on allait encore lui reprocher.

«Si le colis a vraiment été envoyé depuis chez vous, dit-il, vous devez pouvoir retrouver l’expéditeur.» Il éloigna le paquet de son visage et haussa les sourcils au moment où Jonas s’apprêtait à répondre.

«On l’aurait remarqué si ça n’avait pas été vous. J’en suis certain.»

«Mais on ne l’aurait pas remarqué si quelqu’un l’avait simplement déposé dans une boîte à colis.»

Sous le choc, Jonas lâcha le paquet, obligeant Nicolas à le rattraper. Il réagit aussitôt et se retrouva, malgré lui, à tenir la mystérieuse boîte.

«Je n’y avais même pas pensé!», s’exclama le facteur en portant une main à ses lèvres. «Je vais me renseigner tout de suite!» Avant que Nicolas ne puisse l’arrêter, Jonas lui fit un signe de la main et disparut dans le bureau de poste. Nicolas le suivit du regard, légèrement irrité, puis se résolut à examiner le paquet. Son adresse figurait bel et bien dessus. Celle du destinataire, une certaine Manuela Schneider, était barrée et signalée comme erronée.

Il pensa d’abord à une mauvaise plaisanterie. On ne l’appréciait guère. On ne lui faisait pas confiance. Il n’était pas improbable qu’on cherche à lui jouer un mauvais tour.

Mais son regard se posa sur le cachet de la poste, et son cœur se serra.

La date… C’était le lendemain de la mort de Magnus Brunner. Un lundi.

Était-ce vraiment une simple coïncidence?

 

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Il s’avéra que le colis avait bel et bien été déposé anonymement. Tamponné le lundi matin, expédié dans la foulée, il avait été affranchi en ligne la veille avec les coordonnées de Nicolas, puis glissé dans une boîte à colis.

À présent, le paquet reposait sur la table de son salon, sous le regard critique que Nicolas lui lançait depuis près d’une heure et demie.

Il réfléchissait.

Un colis déposé le jour même de la mort de Magnus Brunner. La destinataire étant demeurée introuvable, le paquet – qu’il n’avait pourtant jamais expédié – lui était revenu. À lui, Nicolas Fuchs, le nouveau venu. Ce journaliste qui avait mis sa carrière entre parenthèses pour s’installer dans ce village. Cet homme que les habitants tenaient à distance, et qui le leur rendait bien. Personne ne lui aurait posé la moindre question, quels que soient les paquets étranges qu’il aurait pu envoyer. Après tout, il était journaliste, il devait bien savoir ce qu’il faisait. Non, il y aurait certainement eu des rumeurs si la mort de Monsieur Brunner ne les avait pas éclipsées. Mais alors… pourquoi lui?

Quelqu’un essayait-il de lui faire passer un message? Ou même de le piéger?

«Mais pourquoi avoir écrit que le colis ne devait pas être ouvert?», murmura-t-il. «Quelle que soit la manière dont je tourne la question… on dirait qu’on essaie de m’impliquer dans quelque chose.»

Il se pencha davantage, jusqu’à frôler le bord de son fauteuil. Dans son esprit, il repassa sa conversation avec la policière Marie Lemaire. Son intuition n’était peut-être pas si infondée. Peut-être que cette chute dans les escaliers dissimulait bien autre chose. Plus qu’un simple dérapage. Plus qu’un pas mal assuré. Et peut-être que ce colis renfermait… l’arme du crime. Ou une preuve irréfutable.

Un frisson lui traversa l’échine. Il sentit les poils de sa nuque se hérisser un à un lorsqu’il posa ses mains sur le colis pour le soulever. Il le secoua, à l’affût du moindre bruit. Rien. Quel qu’en fût le contenu, il devait être solidement fixé ou soigneusement rembourré. Et, de toute évidence, très léger. Des documents, peut-être?

Il le reposa avec précaution sur la table. «Mais pourquoi ne devrais-je pas t’ouvrir?» murmura-t-il, songeur, en se massant la tempe entre l’index et le pouce, sans quitter le colis des yeux. «Quelqu’un d’autre devrait-il s’en charger? Devrais-je te remettre à la police, au risque de tomber dans un piège?»

Il se passa les mains sur le visage, joignant ses paumes devant le menton et la pointe du nez. Que devait-il faire? Ouvrir le colis? Le confier à la police? Mener sa propre enquête?

«La solution la plus simple serait encore de t’ouvrir…»

On sonna à la porte.

Nicolas jeta un coup d’œil furtif par la fenêtre avant de se diriger vers l’entrée. Il hésita un instant. Lorsqu’il finit par ouvrir – la porte, et non le colis –, Jonas Schmid se tenait devant lui, à la fois désemparé et contrit, tandis que Marie Lemaire restait légèrement en retrait, les bras croisés. La situation se lisait d’elle-même: Jonas n’avait pas su résister à sa curiosité et Marie était désormais au courant. À en juger par son expression, elle semblait partager son appréhension.

«Je suis désolé, Nico.» Les mots de Jonas étaient si spontanés qu’il aurait presque pu croire qu’ils se connaissaient depuis l’enfance, s’il n’avait pas su que ce n’était pas le cas. Nicolas et Marie levèrent simultanément les sourcils. Apparemment, dix minutes d’échange à la pause de midi avaient suffi au facteur pour passer au tutoiement, voire aux surnoms. Imperturbable, Jonas poursuivit: «J’ai posé quelques questions dans le village et Marie…». Il eut un rire nerveux, laissant sa phrase en suspens.

Marie Lemaire, policière de profession – et manifestement plus «hors service» qu’«en service» – promena son regard de l’un à l’autre. Son mécontentement ne laissait guère de doute.

«Alors, c’est comme ça qu’on se retrouve, Nico», lança-t-elle, d’un ton légèrement vexé. Jonas porta les mains à sa bouche; Nicolas esquissa un sourire un peu gêné, et Marie lui fit signe de la laisser entrer. Elle n’avait sans doute aucun mandat de perquisition, mais il s’écarta malgré tout. Ils se dirigèrent vers le salon. «Il vient de sourire?», entendit-il Jonas murmurer à Marie. Marie éluda la question et posa plutôt sur son hôte involontaire un long regard empreint davantage de réflexion que d’hostilité.

«Jonas m’a déjà tout expliqué.» Au lieu de se diriger aussitôt vers le colis, ils examinèrent la pièce. Il était évident que Nicolas avait conservé tous les meubles de l’ancien propriétaire défunt, un vieil homme affable, amateur d’esthétique rétro. La plupart des meubles étaient recouverts de draps de lin blancs. Dans le salon, seuls la table et les fauteuils échappaient à cette mise sous voile. Sous l’un des draps, Marie crut distinguer un vieux tourne-disque; sous un autre, l’étagère de vinyles qu’elle avait déjà aperçue autrefois. Il n’y avait aucun objet personnel. On aurait presque dit que Nicolas n’avait jamais eu l’intention de s’installer ici pour de bon.

«Vous repartez?» demanda Marie. «À Zurich?»

«La fille de l’ancien propriétaire ne m’a laissé cette maison qu’à titre provisoire. La succession n’est pas encore réglée.» Il retira le drap du canapé. Des grains de poussière s’élevèrent et se mirent à tournoyer dans les rais de lumière filtrés par les stores.

«Vous pourriez chercher une autre maison. Ou une chambre.»

Nicolas rit, avant de s’asseoir dans son fauteuil. «Personne ici ne me louerait quoi que ce soit.» La jeune policière s’apprêtait à répondre lorsqu’il ajouta, précipitamment: «Et puis, mon travail m’attend. Je n’ai pas encore résilié mon contrat, c’est… une sorte de congé sans solde, disons.»

«Pourquoi? Et pourquoi ici? Ce n’est pas vraiment une région touristique», lança-t-elle.

Au lieu de répondre, il poussa le colis vers elle et lui exposa ses suppositions. En parlant, il gardait les yeux rivés sur le paquet, montrant tour à tour l’inscription, l’adresse, le cachet postal, sans tenir compte du regard de Marie, dont les yeux, pourtant, ne cessaient de se poser sur lui. Sans doute ses soupçons s’étaient-ils encore renforcés. Lorsque Jonas finit par s’asseoir près d’eux et expliqua qu’il n’avait trouvé personne capable d’en dire davantage, un silence s’installa.

Comme on pouvait s’y attendre, la date d’expédition donna à réfléchir à Marie. Elle contempla longuement le colis, sans un mot.

«Celui qui l’a envoyé savait qu’il arriverait entre mes mains», dit Nicolas en rompant le silence. «Ce paquet m’était destiné, sans aucun doute.»

«Et il a un lien avec la mort de Magnus», ajouta Marie.

Jonas plissa les yeux. «On ne le sait pas avec certitude, si?»

«Si, on le sait.» Marie désigna du doigt l’adresse de la destinataire. «Peu de gens le savent, mais mon père et Magnus étaient amis bien avant que celui-ci ne s’installe au village. À l’époque, il dirigeait un cabinet médical à Zurich, et il était marié. Le nom de la destinataire, Manuela Schneider… Elle avait conservé son nom de jeune fille, mais c’était celui de sa…»

Jonas se redressa brusquement: «… de sa femme?!»

Marie acquiesça. Elle est décédée il y a cinq ans, emportée par la maladie. Magnus était veuf.»

 

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Il était tard dans la nuit, et il n’arrivait toujours pas à trouver le sommeil. Des centaines de pensées se bousculaient dans son esprit: l’avertissement sur le colis, son propre nom indiqué comme expéditeur, et la destinataire… morte depuis déjà cinq ans, et dont presque personne n’aurait pu connaître le nom. Ils en avaient parlé jusque tard dans la soirée, multipliant les hypothèses sans parvenir à la moindre conclusion. Le mystère demeurait entier. Et il savait que ses nuits resteraient agitées tant qu’il ne l’aurait pas élucidé.

Les marches de l’escalier grinçaient et craquaient sous ses pas lourds tandis qu’il descendait dans l’obscurité. La pâle lumière de la lune filtrait à travers les fenêtres. Sans prévenir, le souvenir de la mort de Monsieur Brunner remonta à la surface; il frissonna et posa une main sur la rampe. Une fois en bas, il tâtonna jusqu’à trouver l’interrupteur.

La lumière du plafonnier jaillit – un lourd lustre ancien – oscillant dans le courant d’air qui passait par les fenêtres entrouvertes. Les ampoules vacillèrent, tandis que les rideaux, gonflés par la brise, se soulevaient comme tirés par des mains pâles et furtives. Le vent sifflait et gémissait, résonnant dans les pièces à moitié vides.

Un frisson le parcourut.

Il se hâta de refermer les fenêtres qu’il avait laissées ouvertes dans son état de transe. Puis il se tourna vers le colis. Il s’assit devant et, soudain, ses pensées se figèrent. Toutes ses inquiétudes s’étaient dissipées en un instant. Le colis semblait l’avoir pris de court, comme s’il avait balayé ses pensées en un simple battement de cils. Cela ne pouvait être qu’un rêve, et pourtant tout semblait trop réel: la poignée métallique de la porte de la chambre, dont la froideur s’insinuait dans tout son corps à travers ses doigts. Les charnières mal huilées qui grinçaient dès qu’il l’ouvrait. Le vieux chêne des marches qui s’affaissait sous son poids. La faible lueur du lustre qui brûlait dans ses yeux gris bleutés. La sensation du carton sous la pointe de ses doigts.

Le bruit de son ongle enfoncé dans la bande adhésive, puis la déchirure.

Chaque fibre de son corps se tendit lorsque le couvercle se souleva. C’était trop réel. Trop vif.

Et quand il regarda à l’intérieur, il en oublia de respirer.

Nicolas Fuchs

Journaliste talentueux, il s’est retrouvé dans ce village de montagne isolé après une longue série d’heures supplémentaires et un scandale malheureux. Âgé de 29 ans, originaire du canton d’Argovie, il est d’un naturel profondément empathique, mais son apparence froide et distante lui vaut d’être souvent mal compris.

Marie Lemaire

Policière curieuse, elle préfère poser une question de trop plutôt que pas assez. À 28 ans, son sens aigu de la justice et sa loyauté lui ont valu la confiance absolue des habitants du village. Elle-même, cependant, se montre vite méfiante: les étrangers auront bien du mal à gagner sa confiance…

Jonas Schmid

Facteur jovial et spontané, il porte son cœur sur la main. À 32 ans, il est le plus jeune employé du bureau de poste et accomplit ses tâches avec diligence, voire avec un zèle qui frôle l’excès. Véritable philanthrope, il n’hésite jamais à aller vers les autres, toujours un sourire aux lèvres.

Source de l'image de couverture et des images des personnages : Sora AI

Source des séparateurs décoratifs : Adobe Stock | 1574399334

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Duygu Özdemir

Marketing Manager Editorial Content

Lorsque je ne suis pas occupée à laisser libre cours à ma créativité littéraire, il est fort probable que je sois totalement absorbée par une série Netflix («Un dernier épisode!») ou alors engagée dans des discussions animées sur des sujets très variés. J’aime encore me plonger dans un bon livre ou me lancer dans un nouveau hobby. Ma curiosité intellectuelle est infinie, et j’ai ici la chance de pouvoir la satisfaire pleinement et de la partager.

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