Pourquoi faut-il désormais attendre des siècles avant une nouvelle saison?

La nouvelle règle d’or avant la dernière saison: une longue pause

Une éternité semble parfois s’écouler entre deux saisons. Si vous avez regardé «Stranger Things» depuis le tout début, vous en savez quelque chose: les premiers vélos ont traversé Hawkins il y a neuf ans, mais la saison 5 ne sortira qu’en décembre prochain, après une interruption de 1244 jours. Même pour «The Last of Us», les téléspectateurs ont dû s’armer de patience. Après deux ans d’attente, la prochaine saison devrait enfin sortir en 2026. «La chronique des Bridgerton» aussi nous impose un rythme bisannuel réglé comme du papier à musique pour prendre notre dose de romance victorienne. Dans le cas de «Mercredi», la dernière saison a même été divisée en deux parties diffusées séparément. Et la suite? Dans très longtemps. Même les géants du fantastique «House of the Dragon» ou «The Witcher» testent eux aussi notre endurance. 

Alors que 24 épisodes de «Friends» sortaient en moyenne tous les ans il y a trois décennies, la production d’une série de huit épisodes par saison s’étale maintenant sur plusieurs années. Chaque nouvel opus fait ainsi office de mini-comeback. Et ironie de l’histoire, ce sont justement ces mêmes plateformes de streaming qui nous ont appris à tout avoir tout de suite qui nous enseignent à présent l’art de patienter. 

Pourquoi faut-il autant de temps?

La faute à la réalité des superproductions modernes: les raisons sont nombreuses et pourtant d’une banalité affligeante... Les tournages sur plusieurs continents durent plus longtemps, les budgets explosent et les effets spéciaux gagnent en complexité. Les séries sont devenues des projets prestigieux qui font la part belle à la cinématographie, à la mondialisation et aux paillettes. Dans le même temps, les services de streaming veulent toujours plus d’épisodes qui doivent être grandioses. Concrètement: des blockbusters avec moins de scénario et plus de post-production! Sans oublier que de nos jours, les séries doivent pouvoir inonder les réseaux sociaux, fonctionner à l’international et avoir du potentiel pour les spin-offs. Bref, elles doivent pouvoir tout faire, ce qui demande du temps. 

La pandémie et les grèves qui ont secoué Hollywood n’ont fait qu’accentuer le problème. En 2023, deux gros syndicats ont débrayé en même temps, tout bloqué pendant plusieurs mois et nous en subissons actuellement les conséquences. 

Des enfants acteur·rice·s en âge de remplir leurs déclarations d’impôt

Ce décalage dans le temps tourne au burlesque dans les séries pour ado. Si dans la saison 1 de «Stranger Things», les acteur·rice·s jouaient encore des enfants, dans la saison 5, ils sont parfois eux-mêmes déjà parents dans la vraie vie. Ces écarts d’âge modifient la façon dont nous percevons les histoires, car les personnages vieillissent plus rapidement que dans l’intrigue. La série se cantonne à l’adolescence tandis que les acteur·rice·s ont depuis longtemps largement dépassé ce cap. Il y a une curieuse désynchronisation entre fiction et réalité. 

Le paradoxe de l’offre pléthorique

Malgré les longs temps d’attente entre deux saisons, dire que nous avons l’embarras du choix est un euphémisme. Tandis que nous patientons pour connaître la suite, d’autres séries voient le jour. Nous faisons le grand écart d’un genre, d’un pays et d’une langue à l’autre. Néanmoins, malgré l’abondance de contenus, nous gardons un lien sentimental fort avec nos favoris. C’est d’ailleurs peut-être la raison pour laquelle nous supportons si bien l’attente: nous espérons ressentir à nouveau cette émotion qu’aucun autre feuilleton ne réussit véritablement à égaler. 

Cette suroffre a néanmoins des effets pervers: avant de commencer une nouvelle série, beaucoup attendent qu’elle soit terminée ou tout du moins que la deuxième saison soit déjà sur la plateforme. Conséquence? L’audimat chute et les services de streaming décident de ne finalement pas tourner le deuxième volet. Résultat: des séries incomplètes, une intrigue sans dénouement et des fans qui se demandent s’il·elle·s connaîtront un jour la fin de l’histoire. 

La patience, nouvel élément dans la culture des séries

Attendre de nouvelles saisons est depuis longtemps devenu une culture à part entière. Les discussions et les spéculations vont bon train, les théories fusent et les mèmes envahissent nos réseaux sociaux. Les séries ne sont plus cantonnées au rang de divertissement, elles deviennent de véritables rituels sociaux. Cette attente de nouvelles saisons ne correspondrait-elle pas finalement à ce que la télévision d’antan représentait pour nous: une réflexion collective? Et quand la série fait enfin son grand retour, c’est un peu comme si nous revoyions d’ancien·ne·s ami·e·s qui ont certes un peu changé, mais qui restent au bout du compte fidèles à elleux-mêmes. 

Toute l’excitation vient peut-être de là justement: plus une série se fait attendre, plus elle reste gravée dans nos mémoires. Elle nous oblige à garder nos émotions dans le temps au lieu de tout dévorer en un week-end. Et ça, dans un monde d’immédiateté, c’est déjà presque romantique. Quand les nouvelles saisons de «Stranger Things» ou de «Mercredi» sortiront enfin, des millions de fans feront la même chose: ils·elles replongeront tête baissée dans l’histoire et dans leurs souvenirs pour revivre les mêmes émotions qu’à l’époque. Peut-être que c’est justement cette attente qui rend les retrouvailles aussi extraordinaires. Quand le N rouge s’allume enfin et que l’intro de Netflix retentit, nous savons pourquoi nous avons pris notre mal en patience. 

Conclusion: moins d’images de synthèse et plus d’intrigues

Plus les séries sont longues, chères et parfaites, moins elles ont de chance de se terminer. Plutôt que de tout miser sur le grand spectacle, la solution serait peut-être justement d’alléger un peu le budget. Toutes les histoires n’ont pas obligatoirement besoin de dragons, d’explosions ou de millions d’effets spéciaux. Certaines des meilleures séries fonctionnent dans des espaces restreints à grand renfort d’émotions et de dialogues percutants.  

Source image de couverture: Unsplash | Mahrous Houses