
Cher journal, je n’en peux plus…
Pour Dostoïevski, la meilleure définition de l’être humain était celle d’un «bipède ingrat». Et bien que l’idée de donner raison à un bipède m’écorche les moustaches, chaque jour passé parmi eux me force à admettre qu’il n’avait pas tout à fait tort.
Pour certain·e·s, je suis un funeste présage, pour d’autres, le trente-six-millième minois de chat maussade choisi comme photo de profil. Comment je vis cela? À vrai dire, plutôt bien. Rien ne me satisfait davantage que de plomber l’atmosphère par ma seule présence renfrognée. Hélas, ma domesticité bipède manque cruellement de discernement. Chaque fibre de mon être exprime le mécontentement, et pourtant, ces étranges créatures persistent à trouver cela mignon.
Je m’égare.
Quoi qu’il en soit, j’étais satisfaite. Satisfaite – jusqu’à ce qu’une simple envie de croquettes me confronte, pour la première fois de mes neuf vies sacrées, à une épreuve d’ordinaire réservée aux bipèdes: le capitalisme.
À partir de ce jour, une évidence s’imposa: désormais, chaque fois que je croiserai un humain, je marcherai de droite à gauche. Par principe.
Et pourtant, tout avait commencé innocemment
…comme tant d’histoires qui, avec le recul, virent à la tragédie. Mon estomac gargouillait – un état qui, comme chacun le sait, requiert selon toutes les lois naturelles une intervention immédiate de mes subordonnés humains. Mais il fallait bien se rendre à l’évidence: jamais ils ne me serviront ce dont j’ai vraiment envie. C’est au-dessus de leurs moyens; aussi improbable qu’un poisson escaladant un arbre, aussi vain qu’espérer d’un chien la moindre notion de mesure. Il fallait donc que je prenne les choses en... pattes.
Oui, je sais. L’idée est humiliante. Je méprise ces besognes triviales, mais parfois, il faut se résoudre à faire soi-même ce que personne ne fera correctement. J’ai donc fait ce que toute chatte civilisée et raffinée en quête d’un repas digne de ce nom ferait: du shopping en ligne. Enfin, c’était le plan.
Ce que je découvris me laissa… sans miaulement.
En bref: les prix étaient fantaisistes, ma colère, elle, bien réelle
J’ai tout vu, j’ai tout enduré, mais là, c’était la goutte d’eau qui a fait déborder la gamelle! Ce qui m’insupporte par-dessus tout, ce sont les tarifs indécents. Ni un bain tiède au vague parfum de citron, ni les pérégrinations d’un robot aspirateur, ni même une caresse maladroite n’auraient provoqué en moi un tel courroux. Même les aboiements obstinés d’un chihuahua hystérique m’auraient laissée de marbre. Pas une seule offre n’a trouvé grâce à mes yeux. Le choc fut profond. Alors, comme toute chatte de bonne maison face à l’outrage – fut-il minuscule – j’ai choisi la riposte qui sied le mieux à mon rang: la résistance. La rébellion. L’agitation. Le sabotage. Bref: une véritable chat-astrophe! Une mise en scène implacable de ma désapprobation.
Il ne m’a pas fallu longtemps pour désigner ma première victime…
Brack. C’est ici que je rends justice.
Mon choix s’est arrêté sur Brack. Plus précisément, sur leur entrepôt de Willisau. Pourquoi? À cause de ces innombrables cartons – fort confortables, je l’admets – bordés de rouge, empilés en tours vertigineuses dans les pièces de mes serviteurs bipèdes. Et chaque fois, on me les arrachait des pattes sous prétexte que j’avais déjà un arbre à chat. Non mais. Alors, j’ai vu rouge. Rouge comme les bordures des colis. Rouge comme le logo. Rouge comme le soleil couchant sur un territoire qu’on m’avait injustement soustrait. Rouge. Il n’a, bien sûr, pas fallu longtemps pour que cette couleur devienne ma proie. Que dire de plus…
Les temps durs exigent des mesures drastiques
J’ai flairé l’occasion: un mélange d’odeurs provenant de milliers de cartons recyclés et, il faut l’avouer, une mécanique parfaitement huilée. J’ai toujours eu un faible pour les cartons. Mais aujourd’hui, point de faiblesse: il fallait d’abord que ma colère éclate. Je me suis faufilée dans leur entrepôt. Les détails? Je les garde pour moi. Tout ce qui affichait un prix un peu trop haut est passé sous mes griffes: étiquette grattée, chiffre effacé. Et pas une fois, mais encore et encore.
«Peut-on être pingre à ce point?» te demandes-tu peut-être.
Oui. On peut.
C’est ainsi que débuta ma campagne de représailles. Non, appelons cela plutôt une révolution feutrée: ici, il n’est question que de justice. J’ai lacéré les prix un à un, renversé les cartons les uns après les autres; à la longue, le prix d’origine n’avait plus aucune importance. Cela ne te semble peut-être pas assez provocateur. Pourtant, pour la morale de l’histoire, il fallait de la subtilité, pas de vandalisme primaire, mais la griffe délicate d’un mécontentement feutré et parfaitement affûté. Il fallait aussi faire preuve d’une précision extrême: ma colère devait se faire sentir, pas mon passage. Mon objectif? Faire chuter le plus grand nombre de prix possible.
Un vrai casse… de prix et de dignité
Il n’a pas fallu longtemps pour que les premiers bipèdes miaulent au «casse». Au lieu d’entendre ma critique (pourtant parfaitement fondée et juridiquement irréprochable), cette meute a préféré se lancer à mes trousses. La raison a bien failli les rattraper, mais, hélas, ils courent plus vite que leur bon sens.
Qu’importe. Je continuerai d’opérer dans l’ombre: à déchirer méthodiquement les étiquettes, à griffer les chiffres. Ce n’est pas la fin. Ce n’est que le début du ronronnement glaçant de la révolte.
Source image de couverture: brinkertlück
Je dégriffe tous les prix.
Je suis comme je suis. Aime-moi – ou fais-nous plaisir à tous les deux, et passe ton chemin. Mais surtout, épargne-moi les prix de luxe, même s’ils paraissent justifiés.
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