
Connaissances de l’art: pourquoi le personnage du Cri crie-t-il?
Il se couvre les oreilles, effrayé, bouleversé. Une terreur nue se lit dans ses yeux. Sa bouche béante semble prête à libérer un hurlement assourdissant. Mais qui est-il vraiment? Et qu’a-t-il vu pour être à ce point ébranlé?
Sous un ciel rouge sang se dresse une silhouette spectrale qui crie – du moins en apparence. Tout autour d’elle semble se déformer. Derrière, deux passants s’éloignent le long de la route. «Le Cri» d’Edvard Munch est sans doute l’une des toiles les plus célèbres de l’histoire de l’art. La figure emblématique du tableau a inspiré toutes sortes de médias: affiches, films, jusqu’aux emojis.
Et pourtant, malgré cette notoriété, un malentendu persiste: beaucoup pensent que ce hurlement glaçant jaillit de la figure centrale, à tel point qu’il déforme l’univers qui l’entoure. Or, la lecture des carnets de Munch invite à une tout autre interprétation.
Un tableau qui appelle à être éclairci
Le personnage semble presser ses mains contre ses joues et pousser un cri déchirant. Munch contredit toutefois cette hypothèse: il a laissé plusieurs versions d’un texte qui suggèrent toutes la même conclusion: la figure réagit à un cri, mais ne l’émet pas elle-même.
«Je marchais dans la rue avec deux amis, le soleil se couchait, je ressentais un souffle de mélancolie. Soudain, le ciel s’embrasa d’un rouge sang. Je me suis arrêté, épuisé, et me suis appuyé contre une barrière – j’ai vu les nuages en flammes, comme du sang et des épées – le fjord bleu noir et la ville. Mes amis continuaient leur chemin – je restais là, tremblant de peur, et je sentis un long cri infini traverser la nature.» (Source: Staatsgalerie Stuttgart)
Les historien·ne·s ne s’entendent pas sur la nature de ce texte: journal intime ou ébauche littéraire? Munch, grand amateur de littérature, maniait volontiers la plume autant que le pinceau. Ses écrits laissent penser que la figure se bouche les oreilles pour se protéger d’un «cri dans la nature». Une description qui correspond en tout point à la toile: le ciel rouge, la barrière, les deux silhouettes.
Le paysage est probablement celui du fjord de Christiania, l’actuelle Oslo.
Il n’existe pas qu’une seule version du Cri
Savais-tu qu’il existe en réalité quatre versions de ce tableau? La première, peinte en 1893, est exposée au Musée national de Norvège. La deuxième, réalisée la même année, ainsi que la quatrième, datant de 1910, se trouvent toutes deux au musée Munch à Oslo, tandis que la troisième, peinte en 1895, appartient à un collectionneur privé.
Munch est-il la figure représentée dans le tableau?
Rien ne permet de l’affirmer. Ses écrits, qui ressemblent d’abord à des notes de journal intime, ont en réalité un caractère littéraire affirmé et furent retravaillés à plusieurs reprises. De plus, la silhouette du tableau ne lui ressemble pas. Jusqu’à présent, on ne lui a attribué ni identité ni sexe, du moins pas officiellement. L’interprétation dominante y voit avant tout l’incarnation de la peur, de l’angoisse existentielle, plutôt qu’une image de l’artiste lui-même. Avec son aspect spectral, presque crânien, certains avancent même que Munch se serait inspiré d’une momie péruvienne qu’il aurait découverte dans un musée parisien.
«Seul un fou aurait pu peindre cela!»
Le premier tableau, peint en 1893, porte une inscription où l’on peut lire: «Kan kun være malet af en gal Mand!», soit: «Seul un fou aurait pu peindre cela!». La mention fut signalée pour la première fois lors de l’exposition de Copenhague, en 1904. Longtemps, on soupçonna que quelqu’un avait porté atteinte au tableau. Mais une enquête menée par le Musée national de Norvège établit finalement que l’inscription était bien de la main de Munch. (Source: Musée national de Norvège)
Un cri qui résonne encore aujourd’hui
«Le Cri» de Munch est un symbole. Un cri qui ne jaillit pas d’un seul personnage, mais des profondeurs du monde, de la tension entre l’homme et la nature. La silhouette spectrale du tableau devient un écran sur lequel se projettent peurs, crises et angoisses existentielles, génération après génération. Qu’il circule aujourd’hui sous forme de mème dans l’espace numérique ou qu’il incarne le désespoir des temps sombres, ce cri conserve toute son urgence. C’est peut-être là sa véritable force: il n’appartient ni à une époque, ni à un visage, et continue de résonner, intact, dans notre présent.
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Content Marketing Manager
Lorsque je ne suis pas occupée à laisser libre cours à ma créativité littéraire, il est fort probable que je sois totalement absorbée par une série Netflix («Un dernier épisode!») ou alors engagée dans des discussions animées sur des sujets très variés. J’aime encore me plonger dans un bon livre ou me lancer dans un nouveau hobby. Ma curiosité intellectuelle est infinie, et j’ai ici la chance de pouvoir la satisfaire pleinement et de la partager.
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